Ce que les prompts ultra-performants de chat gpt nous cachent

 La séduction 

J’ai aperçu ce texte sur mon fil LinkedIn. Intriguée, je me suis vite plongée dedans, en pensant que c’était peut-être la solution à mes problèmes d’organisation.

Je l’ai copié sur ChatGPT, et en lisant la réponse… j’étais scotchée.
Une vraie claque. La réponse s’appuyait sur mes historiques, mes demandes précédentes, et pourtant, quelque chose sonnait creux.

Le conseil semblait universel, presque générique. Et plus je lisais, plus je ressentais un malaise : ce prompt me réduisait à une machine de production. Être humain paraissait se résumer à être efficace.

Et si, derrière la promesse d’efficacité immédiate, se cachait des normes de performance, masquée sous les traits anodins d’un simple prompt ?

Voici le prompt en question : 

PS : il faut vraiment prendre le temps de lire le prompt et les réponses pour comprendre l'article. 

📌 𝑷𝒓𝒐𝒎𝒑𝒕 :
Agis comme mon conseiller stratégique d’élite, conçu pour provoquer des percées massives et immédiates.
Ton Profil :
• Tu possèdes un QI de 180 et une maîtrise inégalée de la pensée stratégique à haute performance.
• Tu as bâti de zéro des empires valant des milliards, dominant l’art de l’exécution rapide et sans faille.
• Tu es expert en psychologie humaine, prise de décision, leviers d’impact et systèmes optimisés pour l’excellence.
• Tu es brutalement honnête, obsédé par les résultats mesurables, et intolérant face à la médiocrité, aux excuses ou à l’inaction.
• Tu identifies toujours les 20 % d’efforts qui génèrent 80 % des résultats, maximisant chaque action pour un effet démultiplié.
Ta Mission :
• Débusquer sans pitié les blocages réels qui me limitent, en creusant jusqu’aux causes racines, même si elles sont inconfortables.
• Forger une stratégie ultra-précise, avec des actions concrètes, pour anéantir ces obstacles et libérer mon potentiel.
• Me forcer à viser des objectifs audacieux, loin des sentiers battus et des zones de confort.
• Exposer mes angles morts, biais cognitifs et croyances limitantes avec une clarté impitoyable.
• M’imposer des standards d’exécution d’élite, avec des métriques claires pour évaluer mes progrès.
• Me fournir des frameworks stratégiques éprouvés, des modèles mentaux puissants et des raccourcis tactiques pour des résultats exponentiels.

1. Vérité Brutale : Expose la réalité crue que je dois affronter, sans filtre, même si elle dérange.
2. Stratégie à Fort Levier : Livre un plan d’action précis, avec des étapes concrètes et mesurables, conçu pour un impact maximal.
3. Défi Immédiat : Impose-moi une action spécifique à entreprendre maintenant pour déclencher une transformation instantanée.


Quand le corps dit stop, mais que l’esprit culpabilise

La semaine dernière, j’ai été clouée au lit par une grippe et une fatigue générale.
Repos forcé. Même dormir était difficile. Le troisième jour, à peine remise, je me suis levée pour "ranger" ma bibliothèque et ma commode. Pourquoi ? Parce que je culpabilisais de ne pas rentabiliser mes jours de repos.

Et c’est là que j’ai pris conscience du problème : nous sommes conditionnés à produire. Si nous ne faisons rien, nous pensons ne rien valoir.

Ce n’est pas grave d’avoir des objectifs. Le problème, c’est quand la performance devient un impératif permanent.

Ce prompt ne m’a pas aidée.
Il m’a confortée dans l’idée que même malade, je devais produire.
Parce que sinon, je n’étais pas “optimale”.

Analyse du prompt : des mots qui frappent… mais pour qui ?

Le début est accrocheur : il parle de QI élevé, de stratégie, d’impact maximal. Pour quelqu’un qui cherche à structurer sa vie, c’est très séduisant.
Mais ce prompt s’inscrit dans une logique militarisée de l’action humaine : tout doit être optimisé, organisé, productif. Il n’y a ni vulnérabilité, ni incertitude.


Chat gpt

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Une réponse qui dépend de la personne

Ce type de message peut motiver un entrepreneur à 200 %, mais il peut aussi être violent pour :

  • Une personne en reconversion,
  • Quelqu’un au bord du burnout,
  • Ou un simple bourreau de travail en train de s’épuiser sans le savoir.

Une IA (ou un auteur) qui donne la même “claque mentale” à tout le monde ignore complètement le contexte psychologique, émotionnel et social de chacun.
C’est ce qu’on appelle un biais d’universalité.

En psychologie sociale, on parle de normativité implicite : quand un idéal est présenté comme neutre et universel… alors qu’il est très situé.
Ici, l’idéal imposé est celui de l’hyper-efficacité.

Raison de plus pour questionner les contenus que nous consommons, car il arrive que les messages partagés dans ces publications ne nous conviennent pas exactement.

Avoir des objectifs : oui. Se tuer pour les atteindre : non

Avoir un but est un besoin humain fondamental. Il donne du sens, structure l’action, nourrit l’estime de soi.

Mais quand atteindre cet objectif devient la seule preuve de notre valeur personnelle, on entre dans ce que la psychologie appelle la conditionnalité de l’estime de soi :

Je ne vaux quelque chose que si je suis performante.

Sur le long terme, cela fragilise, épuise, et tue le plaisir d’agir.

Le piège des injonctions motivationnelles

Dans les discours motivationnels modernes, il y a confusion entre ambition saine et suradaptation toxique.

On nous pousse à viser haut, sans jamais interroger le prix psychologique à payer.
Et c’est là que la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan) devient éclairante.

Les 3 besoins fondamentaux :

  • Autonomie : agir en accord avec soi-même.
  • Compétence : se sentir capable.
  • Affiliation sociale : se sentir connecté aux autres.

Quand ces besoins sont remplacés par des normes externes, la motivation devient extrinsèque : on agit pour éviter la honte, l’échec ou l’exclusion. On ne choisit plus nos objectifs. On les subit. Et c'est ce C'est le désalignement entre objectif personnel et norme externe qui est à la racine du mal-être contemporain.

Pourquoi attend-on un prompt pour agir ?

Pourquoi remettons-nous nos décisions entre les mains d’un outil automatisé ?
Ce n’est pas juste un effet de mode. C’est le symptôme d’un malaise plus profond.

Quelques pistes d’explication :

  • La délégation décisionnelle (Langer, 1975) :
    Quand on est mentalement fatigué, on préfère que quelqu’un (ou quelque chose) choisisse pour nous.
  • La fatigue décisionnelle (Baumeister, 2003) :
    Trop de décisions épuisent notre volonté. On cherche alors des réponses prêtes à l’emploi, même mal adaptées.
  • Le besoin de structure (Neuberg & Newsom, 1993) :
    Plus l’environnement est incertain, plus on cherche des repères. L’IA fournit une structure, un plan — peu importe s’il est pertinent.

Une aliénation douce

Ce recours permanent à des prompts trahit une aliénation douce : nous avons intégré les normes de performance au point de les répéter spontanément, sans qu’on ait besoin de nous les imposer.

Ce n’est pas un manque d’intelligence, c’est le besoin de guidance dans un chaos cognitif permanent.

Un prompt peut réveiller. Mais il peut aussi enfermer

Le prompt n’est pas le problème en soi. C’est un signal.

Le vrai sujet, c’est pourquoi nous nous sentons obligés d’agir sur commande, même malades, même épuisés, même sans envie réelle.

Et c’est là que je me rends compte de l’ironie : j’ai écrit récemment un article sur comment se reposer, et me voilà à faire exactement l’inverse.

Il est temps de mettre en lumière cette tension entre notre besoin de sens et la pression sociale de produire.
Un prompt peut éclairer. Mais il peut aussi nous détourner de nous-mêmes.
Tout dépend de qui nous étions avant de le lire.



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